22.09.2022

Fête de la Saint Maurice

La solennité de la Saint Maurice a été présidée par Mgr Dominique Blanchet, évêque de Créteil.
Voici le texte de son homélie.

Chers amis, frères et sœurs,

Je suis très heureux cette année d’avoir pu répondre à l’invitation de votre Père abbé pour venir célébrer avec vous la Saint Maurice. Je suis venu moi-même en pèlerin, avec le cœur reconnaissant pour saint Maurice et ses compagnons, ainsi que pour ceux qui en ont porté le témoignage au loin ; et avec une demande à lui formuler pour aujourd'hui, une prière qui se joint à la vôtre aujourd'hui en ce jour de pèlerinage.

Avec une reconnaissance tout d'abord ; parce que saint Maurice et ses compagnons sont les patrons du diocèse dont je suis originaire, le diocèse d'Angers. Je les connais en fait depuis longtemps puisque le 22 septembre est aussi la fête patronale du diocèse. Ils sont d’ailleurs très imposants, au fronton de la cathédrale, dans laquelle le peuple de Dieu en Anjou se rassemble et dans laquelle tant de prêtres ont été ordonnés avec le désir de donner leur vie pour l’annonce de l’Évangile. Les reliques y ont été apportées très tôt — à la fin du IVe siècle — dit-on, et le témoignage de cette légion de Thèbes nous a toujours été raconté avec ferveur. De ce fait, depuis Angers, j'ai été rejoint comme des milliers d'autres fidèles par le témoignage de foi qui a été donné ici par la légion thébaine.

Rien que cela est déjà une expérience fondamentale : Comprendre que si nous pouvons aujourd’hui formuler notre foi, c’est parce qu'on nous l'a transmise d’ailleurs que nous-mêmes, avec une parole de vie qui traverse les siècles, et aussi des espaces. Ainsi sans doute aussi pour votre région puisque cette légion venait d'Égypte. Quelle reconnaissance mes amis devons-nous exprimer au Seigneur pour ces témoins de Sa résurrection qu’il a désiré mettre sur notre chemin !

Dans mon diocèse actuel, celui de Créteil, la vénérable Madeleine Delbrêl écrivait que : dès lors que nous avons reçu la parole de Dieu, que nous l’avons laissé s’incarner en nous, « nous appartenons à ceux qui l'attendent ». Voilà bien le don précieux que nous ont fait Saint Maurice et ses compagnons. Appuyés sur leur confiance étonnante dans le Seigneur, ils se sont donnés non seulement à ceux qu’ils ont protégés, mais aussi à nous, en nous transmettant la Parole de vie. Ils se savaient « dans la main de Dieu » comme nous le dit ce passage du livre de la sagesse, que nous avons entendu à l’instant, et comme nous aimons le chanter. Mais plus encore, dit le livre, « ils auront pouvoir sur les peuples »

Ma reconnaissance se redouble alors avec mon premier ministère épiscopal à Belfort-Montbéliard où j'ai été profondément touché à nouveau par la fécondité de saint Maurice et ses compagnons. En accueillant les sœurs de saint Augustin, bien sûr ; Mais aussi par les traces certaines de chrétiens du IVe siècle, dans un castrum, retrouvé grâce aux fouilles archéologiques à Mandeure. Au sein de ce castrum de soldats, ont été retrouvés une église paléochrétienne du IVe siècle, mais aussi un baptistère et quelques médailles ont été retrouvées avec une croix inscrite très discrètement. Ces chrétiens ont reçu eux aussi la foi de témoins qui les précédaient. Peut-être ont-ils entendu ce qui s’est passé ici et la profession de foi qui a accompagné ces évènements. Le martyre de saint Maurice et de ses compagnons a dû étonner et par là même, a annoncé l’Évangile de vie y compris dans l’armée. Toujours est-il que c’est par l’armée que l’Évangile semble être arrivé en Nord Franche-Comté. Oui, Quelle merveille, frères et sœurs que notre foi aujourd'hui transmise, fortifiée, fécondée par les générations qui nous ont précédées ! Il est bon de laisser chanter notre reconnaissance pour le Seigneur Jésus lui-même qui a envoyé ses apôtres annoncer l'Évangile aux extrémités de la terre dont nous sommes. Il est bon de laisser aller notre joie et notre louange !

Quelle joie, oui, mais aussi quelle responsabilité, car les extrémités de la terre ne s’arrêtent pas à nous, mais nous débordent. L’Évangile va-t-il s’arrêter en notre cœur ? C'est précisément avec cette inquiétude de pasteur, avec cette demande que je viens aussi en pèlerin auprès de Saint Maurice et de ses compagnons. Ils nous donnent l'exemple d'un engagement loyal dans leur cité, dans leur société, mais sans remettre en cause la primauté sur la fidélité au maître de toutes choses, au Seigneur qui donne vie, au Créateur par qui tout a été fait et sans qui rien n'existe. Telle est leur magnifique profession de foi.

Lorsque nous évoquons ces témoignages de chrétiens, affrontés à l’adversité et parfois à la mort en raison de leur fidélité au Christ, je pense aux témoins d’aujourd’hui. Je pense à Mgr Sviatoslav Shevchuk, Archevêque majeur de l'Église gréco-catholique ukrainienne qui, tous les jours, donne un message à ses fidèles en les encourageant dans leur fidélité à l’Évangile comme seul chemin. Je me souviens souvent aussi de témoins rencontrés au Laos avec des jeunes d’Angers et de Nantes au retour des JMJ de Sydney. Nous y avons rencontré des prêtres des jeunes qui nous ont édifiés par leur courage. Les prêtres y étaient peu nombreux, cinq. Chacun d’eux avait eu à subir des années de prison mais leur regard était lumineux, leur foi vive. Aucune haine dans leurs paroles. Leur persévérance était édifiante et en partant, les jeunes ont dit à l'administrateur apostolique combien ils étaient admiratifs de leur courage. Alors il leur a répondu qu'il préférait leur situation à la nôtre. Il leur a parlé de notre endormissement par les mœurs, par les habitudes de la société, par ces façons de bien penser qui nous sont suggérées, voire imposées sans que nous nous en rendions compte. Il leur a ainsi dit qu'il préférait craindre la persécution visible objective qui le tenait en éveil plutôt que notre condition qui risque de nous endormir. J'y repense souvent pour ma part lorsque nous avons des débats sur des évolutions sociétales, des décisions à prendre dans lesquelles la parole au nom de l'Évangile est si difficile à poser.

Actuellement, s'ouvre en France un débat sur la fin de vie, sur la dignité de toute personne, tendant à « moraliser » l’euthanasie. Vous connaissez bien ce débat. Il nous faut aujourd’hui poser une parole qui vient servir la vie, difficile à poser de façon audible, tenant ensemble charité et vérité, pour le bien des personnes les plus vulnérables. Saint Maurice et ses compagnons ont ainsi choisi de servir la vie. Ils semblent avoir choisi la mort. Mais ce n’est pas la mort qu’ils ont choisie. Ils ont choisi la vie qui sert et respecte la vie de leurs frères. Cette vie-là est déjà habitée par le Christ qui portait avec eux ce combat. La choisissant, ils intègrent la mort à leur existence. Ils sont comme ces serviteurs de l'apocalypse qui posent un signe profondément lumineux de vie, qui continue de nous éclairer.

Ainsi, Frères et sœurs, je suis venu demander auprès de saint Maurice et ses compagnons la grâce de la cohérence de vie entre ma proclamation de l’Évangile et toute mon existence, ainsi que pour toute l’Église. C’est cette cohérence profonde, qui leur a permis de prendre une juste décision, sans soupçonner même la fécondité immense de leur témoignage.

Lors de sa première messe comme cardinal, Mgr Aveline a cité Charles de Foucauld, qui demandait la grâce de mourir en martyr, en témoin, et qui demandait donc la grâce de mettre toute chose en perspective avec cette fin. Plus près de nous, les martyrs de Tibhérine qui nous disent combien leur oui extrême s'était enraciné dans leurs petits oui donnés au fur et à mesure de leur existence. Le Père Christian de Chergé disait qu’il était tout aussi solennel de nouer son tablier que de donner sa vie, et vice-versa…

Demandons ici la grâce du courage pour que l’Évangile ne se perde pas en nos cœurs mais continue sa course, par notre témoignage de vie, vers les extrémités de la terre. Au risque d’une annonce qui trouvera sa cohérence encore aujourd’hui, dans la louange de celui qui se donne comme son maître. Amen.

Mgr Dominique Blanchet