09.02.2023

Enterrement du chanoine Michel-Ambroise Rey

Lectures : Ap 10,8-11, Ps 5, Mt 14, 13-21

Michel-Ambroise Rey, un homme au grand cœur. C’est bien l’image qu’il nous laisse. Notre émotion est grande aujourd’hui au moment de son décès.

Michel-Ambroise était un homme de Dieu. Notre foi permet d’affirmer qu’il est maintenant dans la lumière et la joie éternelles. Il contemple face à face celui qu’il a toujours cherché.

Sa nourriture, ce n’était pas le produit de la cuisine solaire, ni les bons petits plats andains ou valaisans. Sa vraie nourriture était la Parole de Dieu qu’il ingérait avec délice et ruminait longuement.

Écoutez ce qu’il disait à nos deux jeunes confrères chanoines au jour de leur profession perpétuelle :

Un texte biblique n’est pas une chose en soi ni pour soi. C’est un réceptacle de possibilités. Un texte n’est pas absolument le même sur la bouche d’un enfant ou sur la bouche d’un génie.

L’enfant prépare, plus ou moins large, la coupe de cristal.

Le génie l’emplit, goutte à goutte, d’une liqueur toujours plus finement distillée et toujours plus savoureusement goûtée. Alors, goûtez et voyez comme est bon le Seigneur en mémorisant.


En préparant cette liturgie, ce passage de l’Apocalypse entendu en première lecture s’est imposé à moi. Je ne doute pas que Michel-Ambroise le connaissait par cœur.

Celui qui parle est saint Jean, un disciple direct du Christ. Au terme de sa vie, il médite dans sa retraite et nous partage sa vision… ou plutôt son audition, puisqu’il dit avoir entendu une voix venue du ciel.

Va prendre le livre ouvert dans la main de l’ange. L’ange qui transmet le livre, c’est le messager de Dieu. Cet ange ne serait-il pas Michel, l’archange, dont le nom signifie « qui est comme Dieu ».

Et le visionnaire s’approche de l’ange… : Prends ce livre et dévore-le. La Manducation de la parole, c’est le titre du livre emblématique de Marcel Jousse, le maître de Michel-Ambroise.


Comment prêcher si l’on n’a pas ruminé la Parole, si on ne l’a pas laissé nous imprégner, si on ne prend pas le temps de laisser jaillir en nous cette liqueur distillée dont parlait Michel-Ambroise.

Combien de fois ne nous a-t-il pas recommandé d’apprendre par cœur les textes bibliques. « Tu verras comme cela change… »

Il pouvait dire cela car il avait fait l’expérience de la portée incroyable de cet exercice dont il a été l’infatigable apôtre. Combien de groupes de toutes sortes reçus par lui en visite à l’abbaye ont appris par cœur un psaume ou le texte des béatitudes, grâce à ses moyens mnémotechniques.


La Parole est douce dans la bouche, car c’est la Parole de Dieu. Et c’est une grâce de pouvoir lire, entendre, méditer la parole de notre créateur. Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu.

La Parole est douce dans la bouche, mais lorsqu’elle est ingérée, elle fait son œuvre, pour autant que nous la laissions agir en nous.

L’ange l’avait dit à Jean : le livre remplira tes entrailles d’amertume. Les entrailles, selon la Bible, c’est le siège de notre affectivité. On ne sort pas indemne de la méditation de la parole car elle va toucher l’origine de tout ce qui nous met en mouvement.

Nous, si faibles et pauvres, comment pourrions-nous voir la grandeur de Dieu et rester sans réaction ?

Évidemment on peut aussi se renfermer, faire comme si de rien n’était. Mais l’Esprit saint est venu pour transformer notre cœur de pierre en un cœur de chair. Et le cœur de chair de Michel, conjugué avec son imagination, lui a suscité de nombreuses et merveilleuses initiatives, et même certaines qui ont pu paraître quelque peu loufoques à certains.

Les entrailles de Michel-Ambroise ont si souvent vibré à la vue de ce qui lui paraissait injuste. Et le voilà qu’il se mobilise pour les plus petits et les sans défense, sans craindre les malheurs qui pourraient lui arriver.

Le jeune aumônier des barrages qu’il était s’est largement fait houspiller lorsque ses initiatives en faveur des ouvriers ont été assimilées par certaines autorités à du syndicalisme, voire du communisme.

Les entrailles vibrantes de Michel-Ambroise l’ont ensuite conduit sur les hauts plateaux du Pérou où il a découvert la théologie de la libération au service des populations les plus pauvres.

Son esprit évangéliquement révolutionnaire va guider plus tard son apostolat dans les paroisses valaisannes et chablaisiennes. Le politiquement correct, lui issu d’une famille de noblesse, il ne le connaissait pas. Il n’avait que l’évangéliquement correct en tête.

Il y a cinq ans, dans une homélie radiodiffusée, il donnait son crédo :

« Lorsque la théologie de la libération resplendira dans toutes les églises du monde et dans toutes les communautés religieuses permettant de libérer la liturgie de son carcan ancestral et intellectuel pour nous offrir la nouveauté et la fraîcheur de l’Évangile, alors les pauvres du monde nous évangéliseront, comme Marie, en laissant la Parole du Christ opérer son éruption et son irruption dans nos vies, faisant de tout son peuple un peuple de prophètes. »

L’ange de l’Apocalypse avait dit au disciple : « il te faut de nouveau prophétiser sur un grand nombre de peuples, de nations, de langues et de rois ».

Que ces paroles nous aident à continuer à notre manière, toujours et partout, le témoignage de Michel-Ambroise.

Que l’Évangile soit toujours pour nous nourriture et source de toute action.

La page de l’évangile de saint Mathieu que nous venons d’entendre nous montre les disciples de Jésus désemparés. Une grande foule suit Jésus, mais elle manque de nourriture. Que donc faire ?

L’Église d’aujourd’hui est elle aussi bouleversée suite à la révélation de tous ces scandales qui la secouent. Peut-on encore croire aujourd’hui ? Peut-on encore s’engager en Église ?

La réponse se trouve dans ce texte de saint Mathieu. Aux foules déconcertées, sans nourriture, Jésus demande à ses disciples de les nourrir. « Donnez-leur vous-mêmes à manger ».

Mais comment le faire, se sont certainement demandé les disciples ?

Jésus a donné la réponse, toute simple. Il suffit de partager généreusement le peu que nous avons. Cinq pains et deux poissons, avec la prière de bénédiction du Seigneur, ont suffi à nourrir plus de 5'000 personnes. A notre tour maintenant de nous mettre au travail !

Et voilà que dans l’eucharistie que nous vivons, nous célébrons Celui qui se donne en son corps et en son sang.

Vraie nourriture pour notre vie dans ce monde,

Vraie nourriture pour la vie éternelle.

Amen. Alléluia.

chanoine Olivier Roduit