26.02.2023

1e Dimanche de Carême

Mes sœurs, mes frères,

Avant de parcourir la Galilée et la Judée pour y proclamer la Bonne Nouvelle, Jésus fut conduit par l’Esprit Saint au désert, comme pour vivre une retraite de préparation immédiate à son ministère. Mais c’est surtout une prédication silencieuse, un exemple qu’il nous donne ; il fait en quelque sorte l’expérience de la longue traversée du désert de ses ancêtres les Hébreux. Pour la Bible, le désert est à la fois un lieu d’épreuve et de grâce. C’est une région désolée où rôde le démon… et Jésus en fera l’expérience, nous l’avons entendu. C’est aussi le lieu où la Parole divine se fait entendre plus facilement, car rien ne vient empêcher son écoute ; et aujourd’hui, même Satan a été contraint d’écouter cette Parole …

Voici Jésus au désert… confronté à trois tentations. Pourtant dans le Notre Père, Jésus utilise le singulier : « Père, ne nous laisse pas entrer en tentation » Mt 6, 13), dans la tentation. Dans son Évangile, saint Luc, lui aussi, emploie le singulier en disant : « Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentation, le diable s’éloigna de Jésus jusqu’au moment fixé » (Lc 4, 13).

Que faut-il voir là ? Eh bien qu’il y a UNE tentation fondamentale, sur laquelle viendront se greffer toutes les tentations particulières. Et cette tentation adressée à Jésus est précisément de le faire douter de son état de Fils de Dieu : “Si tu es le Fils de Dieu”, dit le démon. La voix que Jésus entendit lors de son baptême, ne serait-elle alors que pure illusion : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie » ? … Les jeux étant faits, le diable invite alors Jésus à mettre Dieu à l’épreuve, à prouver en quelque sorte la vérité de sa parole : “Si tu es le Fils de Dieu…”.

Du même coup, nous sommes renvoyés à la toute première tentation du Livre de la Genèse, quand le serpent instille le doute dans l’esprit de la femme – et de l’homme ! Dieu avait dit une parole positive : « Tu peux manger les fruits de tous les arbres du jardin… », mais fit de plus cette recommandation : « l’arbre de la connaissance du bien et du mal, tu n’en mangeras pas ; car, le jour où tu en mangeras, tu mourras » (Gn 2, 16-17). Alors le diable dit à son tour une parole en mode négatif : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! » (Gn 3, 4). Il trompe donc la femme en suggérant par là que Dieu n’est pas celui qu’on croit, mais qu’en réalité il veut se réserver le pouvoir absolu sur l’homme. C’est comme si l’être humain était sous son emprise. Ne faudrait-il pas alors que l’homme et l’a femme s’affranchissent de sa tutelle tyrannique et revendiquent pour eux-mêmes le pouvoir de mener leur vie à leur guise ? Pourquoi avoir besoin de Dieu ? … Nous touchons ici, frères et sœurs, à la tentation fondamentale dont nous parlions, et qui est toujours d’actualité : celle du pouvoir sous toutes ses formes, la revendication par l’homme d’être lui-même son propre maître, en recherchant son autonomie par rapport à Dieu. Dès lors pourquoi prier, pourquoi demander le baptême, pourquoi se confesser, pourquoi aller à la messe ? …à quoi bon tout ça si c’est moi qui suis mon (et le) maître ? À quoi bon les sacrements finalement ?

Or aujourd’hui, nous allons célébrer, au cœur du sacrement de l’Eucharistie, le rite de l’appel décisif. Parmi nous, une jeune a demandé à recevoir le baptême chrétien dans l’Église catholique. Cet appel signifie que l’Église choisit et admet cette catéchumène jugée apte à être baptisée. Tous se prononceront, les parrain et marraine, l’accompagnateur spirituel et la catéchumène elle-même, exprimant ainsi leur volonté de recevoir le sacrement du baptême.

Cette admission, accomplie par l’Église, se fonde sur un choix que fait Dieu d’appeler cette sœur par son nom. Nous allons donc vivre là quelque chose de grand !

L’Esprit Saint, nous l’avons entendu, a conduit Jésus au désert ; aujourd’hui, ce même Esprit conduit une jeune, désireuse de suivre Jésus, au baptême. Le baptême c’est l’entrée dans l’Église, la grande famille des enfants de Dieu, certes, mais plus encore il est incorporation au Christ dans son propre Corps qui est, justement, l’Église. Nous vivons ce matin en plein cœur du mystère de Dieu. Dieu est présent en son Corps, c’est-à-dire cette assemblée que nous formons tous ensemble, frères et sœurs ; nous sommes non seulement la famille

qui accueillons cette catéchumène, mais nous sommes encore et surtout des témoins pour elle. Il faut qu’en participant à la vie de l’Église, particulièrement durant ces semaines de Carême nous préparant à Pâques et à son baptême, elle sente dans les différentes communautés chrétiennes, et la nôtre particulièrement, la présence du Dieu vivant.

En Jésus, Parole et Eucharistie, Dieu se manifeste réellement à nous, devient l’un de nous. Ainsi, au désert, il a partagé complètement notre condition humaine ; à ce titre il subit aussi la tentation et, du coup, fut amené à se poser la question du lien qui le relie à Dieu. Voilà la tentation : s’il est vraiment le Fils de Dieu, que Dieu se montre vraiment son Père ! Sinon Jésus ne pourra compter que sur lui-même, revendiquer sa liberté, et il deviendrait son propre maître ; il s’accaparerait par puissance ce que le Père lui donne par filiation ! C’est ainsi que Jésus répond au tentateur par la seule Parole de Dieu. En effet, il est le Fils, conduisant celui qui le suit à la parole du Père par l’enseignement des Écritures et leur accomplissement en lui et par lui. En fait non, le Fils ne s’est pas trompé, et n’a pas été trompé, quand il a reconnu dans son existence humaine qu’il était le Fils du Dieu de toute éternité.

Ainsi nous-mêmes, frères et sœurs, dès ce début de Carême, nous sommes invités à nous situer en vérité devant Dieu, devant sa Parole, devant notre liberté : accepter notre dépendance dans l’amour de Dieu, ou revendiquer le pouvoir sur nous-mêmes… et sur les autres, a fortiori ! À nous de choisir, comme l’a fait cette jeune catéchumène, nous qui croyons que Jésus est le Fils de Dieu et, qu’en lui, nous sommes tous faits fils et filles du même Père, son Père.

Ainsi soit-il !

Mgr Jean Scarcella